Sunday 12 August 2012

Al Jazeera un média pas comme les autres


Ecrit par Kamel Heriouil (Septembre 2009)
L’espace télévisuel arabe a été doté en 1996 de sa première grande chaine satellitaire : Al Jazzera .Mais est-ce réellement de cela qu’il s’agisse ? Une chaine d’information alternative arabe capable de concurrencer les grands médias internationaux ou tout simplement une imposture, un cicérone pour une curiosité démocratique, dans un monde arabe engourdi et tiraillé par toute sorte d’antagonisme et d’autoritarisme. C’est l’analyse que nous nous sommes proposés de faire à travers les tenants et aboutissants  qui sont à l’origine de  ce nouveau média.
Chaine de télévision qatarie de langue arabe, celle-ci est  devenue, en effet, et en très peu de temps un média mondial très puissant, au point d’être surnommée « la CNN arabe ».La chaine compte, aujourd’hui, près  de 45 millions de téléspectateurs (arabophones) à travers  le monde.
Elle a été inaugurée le 1er novembre 1996, sur décision  du cheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, émir du Qatar. En Angleterre, la chaine emploie plus de soixante journalistes et disposait en 2001 d’un budget de 30 millions de dollars. C’est l’aspect tactique de la chaine que de diffuser à partir de Londres, qui est considérée comme le cœur de l’information libre.
En Europe, Al Jazzera est considérée par certains observateurs comme étant la voix des « islamistes », du fait de ses positions radicales par rapport à la pensée informative classique véhiculée par les grands médias internationaux. Elle propose d’autres alternatives sur l’actualité du monde arabe, différentes de celles des grands médias européens et nord-américains. Elle  ambitionne surtout, comme le fait CNN pour l’Occident, à canaliser « toutes les consciences arabes » avec  tous les risques que cela peut  engendrer. Dans le monde arabe par contre, Al Jazzera est souvent regardée comme un média pro-américain.
Son succès story naitra avec  la première diffusion en direct, en date du 7 octobre 2001, d’un enregistrement vidéo d’Oussama Ben Laden lors de l’intervention américaine en Afghanistan (qui s’est avéré plu tard  un document préenregistré).Pendant tout le régime des Talibans (1996-2001), Al Jazzera fut la seule télévision internationale à disposer d’un bureau dans ce pays, mis au ban de la société internationale.
Durant la guerre d’Afghanistan, la télévision était « accusée » d’être pro-talibans et anti-américaine, de par ses reportages et sa ligne éditoriale focalisés sur une mobilisation du monde arabe contre les USA.A la suite de quoi, les locaux de la télévision, situés à l’étranger, ont été « bombardés »dans des circonstances douteuses à deux reprises par les américains : la première fois en Afghanistan, et la deuxième fois en Irak.
LE PARADOXE D’AL JAZEERA
C’est pendant la guerre en Irak que va se révéler le paradoxe de cette chaine satellitaire. En effet dans ses comptes rendus journaliers sur le conflit, Al Jazzera  va clairement signifier son opposition à    la guerre en Irak menée par les américains. Pourtant, dans le cadre de sa géopolitique régionale, les USA ont décidé d’installer et de maintenir leur quartier général militaire à Doha, capitale de l’Emirat, malgré le mépris de la chaine vis-à-vis de la politique des Etats-Unis. Les bases et le commandement militaire d’Al Odeïd et d’As Siliah au Qatar remplacent dorénavant celles installées en Arabie Saoudite lors de la première guerre d’Irak de 1991.
Pourquoi ?
L’attentat  du 11 septembre 2001 et la supposée implication indirecte des wahhabites saoudiens dans la préparation et l’exécution de l’attaque terroriste, qui a fait plus de 3000 morts, a refroidi, à cette époque, les relations entre  les USA et la monarchie wahhabite. De ce fait, les américains vont tenter de casser le monopole de l’information saoudien au niveau de la région, en jouant un rôle éminemment coactif  dans l’émergence de la chaine qatarie.
Virgile ne disait-il pas dans l’Eneide : « La discorde passe en robe déchirée, et Bellone la suit avec un fouet ».
En véritable Bellone des temps modernes, l’Amérique va façonner à son avantage la chaine, en la transformant  en une tribune démocratique du monde arabe. Al Jazeera va petit à petit vulgariser la critique de la monarchie saoudienne et étouffer ses chaines satellitaires, considérées jusque-là comme l’axe des champs médiatiques arabe. Car la conception d’Al Jazzera  a été la vocation la plus perceptible du changement qui va marquer tout au long des années 90 la région du Golfe, introduisant une disjonction importante dans le paysage médiatique arabe. Al Jazeera témoigne ainsi  de la fin du monopole saoudien  des médias panarabes.
COMMENT EST NEE AL JAZEERA
Al Jazzera est née à partir du concours  de deux évènements  tout à fait fortuits: Le refus de l’Arabie Saoudite de financer le projet d’une chaine en langue arabe de la BBC, et une poignée de journalistes concernés, retrouvés  au chômage au lendemain de l’avortement de ce plan.
En effet, en 1995 des journalistes arabes, dont certains de notoriété bien établie, se sont trouvés démobilisés après le retrait  du capital saoudien du projet d’une chaine en arabe de la BBC. Organisés et poussé par  une ferme conviction de produire une chaine arabe non asservie aux régimes en place, à cause de cet échec, ces journalistes avaient besoin d’un soutien financier pour donner corps à leur projet. C’est le Cheikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani, l’Emir du Qatar qui le fournit.
A partir de cette co-caution étrange entre Al Jazzera et l’Emirat du Qatar va se bâtir un véritable deal, qui va faire des dirigeants et des commentateurs de la chaine, les journalistes les plus en vogue et les plus enviés du monde arabe, en contrepartie d’un travail de façonnage de la démocratie en marche au Qatar.
L’émir qui venait de renverser son père du trône  cherchait, en même temps, une issue dulcifiante à la brutalité de son exploit, et une nouvelle légitimité pour assoir son règne par une ouverture démocratique. L’expérience de l’invasion du Koweït et la fuite de la famille régnante des Al-Sabah en 1990 a été l’élément déclencheur d’une prise de conscience sur la fragilité des micro-Etats du Golfe.
La fragilité de Qatar, face aux problèmes d’instabilité politique de certains  pays du Golfe, est encore plus évidente si l’on se réfère à sa date de création récente (1971).A la différence des Etats voisins le Qatar a toujours refusé de devenir une diarchie, en relation avec les Emirats Arabes ou l’Arabie Saoudite. Ce qui ne pouvait que maintenir toutes les convoitises et les ambitions dormantes.
Cette option de sortir du giron de l’instabilité et de bâtir et sécuriser  une certaine légitimité intérieure et régionale, retenue par l’Emir du Qatar, va reposer  en grande partie sur la fondation d’Al Jazzera, avec la bénédiction  tacite des Etats-Unis, qui voulaient de leur côté, et par la même occasion, consolider la défense de leurs chasses gardées dans les pays du Golfe.
En effet Al Jazzera, codille insoupçonnable, est considérée maintenant comme l’outil incontournable  pour dissimuler un renforcement inédit de l’alliance stratégique entre le Qatar et les USA, et la « preuve » d’une embrocation démocratique du pays.
C’est grâce à Al Jazzera que l’Emirat du Qatar, un territoire de 11500 km2, avec 700 000 habitants, dont seulement 200 000 qataris, va être propulsé au rang de puissance régionale, et servir d’exemple de démocratie arabe au monde entier.
Mais réellement Al Jazzera, véritable dragon médiatique arabe, a-t-elle rempli son rôle de médiateur entre les relations de l’Emirat du Qatar avec les USA et la promotion de la démocratie dans ce petit Etat?
Nous pouvons supposer que les Etats-Unis veulent renforcer ses relation avec le Qatar pour deux raisons toutes simples :
-Le maintien d’un statut quo dans la structure géopolitique des Etats du Golfe procède de la stratégie des américains qui veulent conserver leur influence dans cette région, afin de protéger leurs intérêts énergétiques et tactique.
-La création d’un pôle régional d’embryogénie démocratique  serait bénéfique au projet du « Grand Moyen Orient », initié par Bush, et toujours d’actualité.
Mais dans la réalité le Qatar reste toujours un  régime autoritaire. Aucune avancée notable dans ce domaine n’a, en fait, été enregistrée. Le journal britannique The Economist classe le Qatar, en 2008, à la 144eme place, en termes d’indice de démocratie, parmi les régimes les plus rétrogrades, juste devant l’Iran.

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